CAUSES DE LA QUASI-DISPARITION DU NOM

Démographie et évolution de la société...

Tout d'abord, il faut savoir que beaucoup de noms de notre terroir ont disparu et disparaîtront encore. Ce phénomène a de nombreuses explications, mais la plupart sont démographiques et sociologiques. Il suffit qu'un nom soit déjà rare, et circonscrit à une zone rurale réduite, pour que ses chances de survie soient plus minces : les enfants quittent le pays ; ils partent à la ville, où l'on sait que les gens se marient moins et divorcent plus, et font moins d'enfants. La ville brassant des individus de toutes régions (et aujourd'hui de tous pays), le nom se perd au milieu d'une multitude d'autres patronymes, et pour peu qu'il y ait plus de filles que de garçons, le destin d'un nom est scellé en deux ou trois générations.

 le récit d'un maçon migrant et un classique pour la jeunesse

C'est précisément ce qui semble s'être produit pour les [bomor]. Au 17e siècle, le nom était circonscrit à un petit groupe de communes situées dans un rayon de 10 kilomètres autour du Dorat. On trouvait déjà alors plus de femmes que d'hommes. Les hommes vivaient en général beaucoup plus vieux que les femmes, se mariaient plusieurs fois, mais ils avaient relativement moins d'enfants que dans d'autres régions telles que les Flandres ou l'Artois.

De plus, on voit clairement qu'à part dans les deux grandes familles qui ont survécu, la tendance était à faire plus de filles que de garçons, et c'est d'ailleurs cette même tendance qui met aujourd'hui le nom en danger dans l'une des autres branches encore survivantes, celle de Gironde-Dordogne. Quant à l'exode rural, il n'échappera à personne que la Basse-Marche (nord de la Haute-Vienne) et sa voisine la Marche (Creuse) ont payé le plus lourd tribut au progrès, lorsque des maçons, tailleurs de pierre, paveurs et cimentiers émigrèrent par milliers vers d'autres régions durant la seconde moitié du 19e siècle.

Récit d'un maçon migrant dans un classique pour la jeunesse (www.encreuse.com)

Tabous ou mauvaises lunettes ?

Mais l'évolution sociologique et démographique ne suffit pas à expliquer le fait que les noms BEAUMORD et BEAUMORT aient été en chute libre depuis un siècle et plus. Un nom qui paraissait tout à fait banal et sensé par les gens de sa zone d'origine, devient étrange, inquiétant, morbide ou ridicule aux oreilles des autres dans les régions d'accueil, particulièrement pour la seconde orthographe. Deux phénomènes se font alors jour : d'un côté, un déni pur et simple du nom par les employés de mairies et autres, qui les conduit systématiquement à recopier "BEAUMONT" quand ils voient écrit BEAUMORT, se disant que ça ne peut être que BEAUMONT (puisque ce nom est bien connu et que l'autre leur paraît trop horrible pour être vrai).

Cela est tellement vrai qu'il y a encore quelques jours, un généalogiste m'écrivait à propos d'une BEAUMOND douteuse de sa base : "Il s'agit d'un patronyme que j'ai relevé sur l'acte de mariage de son fils (...) et j'ai peut-être "extrapolé" car BEAUMOND me disait plus que BEAUMORD !!!" Ce phénomène perdure encore pour toutes les familles BEAUMORT de France aujourd'hui, la quantité de courriers et autres documents officiels mal orthographiés en témoigne (et ce même si on souligne le R, qu'on en précise oralement l'existence, etc.). Et je ne parle pas des dossiers médicaux ou autres égarés, obligeant à recréer à chaque fois un nouveau dossier...

L'autre phénomène, qui n'est parfois que la conséquence directe du précédent, c'est une sorte de honte de porter le nom, ou à défaut une lassitude d'avoir à sans cesse le revendiquer ou en réaffirmer l'orthographe. Ainsi en a-t-il été de plusieurs BEAUMORT qui, soit parce qu'ils avaient subi sans cesse les quolibets dans leur jeunesse et ne le souhaitaient pas pour leurs enfants, soit parce qu'ils n'aimaient pas leur nom et préféraient quelque chose de plus neutre, plus "passe partout", ou fatigués de rectifier sans cesse les erreurs de papiers, se sont fait appeler BEAUMONT, le plus souvent de manière officieuse pendant des années avant que la chose ne soit publiée au Journal Officiel...

J'ai même trouvé le cas de plusieurs individus qui ont été faussement déclarés BEAUMONT à leur naissance 20 ou 25 ans avant que le changement de nom soit bel et bien officialisé... et même une autre personne qui s'est toujours appelée BEAUMONT depuis sa naissance alors que jamais la moindre démarche officielle de changement de nom n'avait été initiée par ses parents, et qui maintenant se demande comment elle va faire pour reprendre son vrai nom !