DES [bomor] DANS TINTIN ?

Frères jumeaux... ou simples collègues ?

Rares sont ceux qui n'ont jamais lu, au moins une fois dans leur vie, un album de Tintin. Parmi les personnages hauts en couleur qu'on y croise, comment ne pas se souvenir de ces deux policiers farfelus et d'une inefficacité criante... j'ai nommé les Dupond/Dupont, bien entendu. Presque identiques, seule la lettre finale de leur nom et la forme de leur moustache permet de distinguer ces deux individus en tous points semblables...

 Les Dupondt

Le site de référence canadien sur l'oeuvre d'Hergé, A la découverte de Tintin, nous les décrit ainsi :

Membres de la Sûreté, puis de la Police judiciaire, les Dupondt mènent bien des enquêtes plus ou moins discrètes et efficaces... Les Dupondt ne sont pas des lumières, c'est le moins qu'on puisse dire. Ils poussent le sens de la discrétion jusqu'à se vêtir de costumes folkloriques dans le but de se « mêler à la foule », ce qui n'est évidemment jamais réussi. Ils accumulent aussi un nombre impressionnant de chutes, glissades et accidents. Comble de la bêtise, ils suivront même leurs propres traces dans le désert... Cette désorganisation totale se reflète aussi dans leur langage. Spécialistes des lapsus et autres pléonasmes, ils comptent à leur actif les « je dirais même plus », « motus et bouche cousue » et le savoureux « c'est mon opinion et je la partage »...

Frères jumeaux ? Simples collègues qui ont fini par déteindre l'un sur l'autre ? Les avis ne manquent pas sur la question. Or comme le dit très bien le site Objectif Tintin :

"Sauf dans la Police où l'on sait reconnaître leurs mérites professionnels, les Dupondt ont toujours été la risée du public et aucun chercheur n'a jugé bon de leur consacrer une étude digne de ce nom."
(cette injustice a d'ailleurs été réparée, cf. la référence donnée en bas de page)

 Aussi gaffeurs et inefficaces l'un que l'autre... A la découverte de Tintin est catégorique :

"Bien qu'ils soient presqu'en tout point semblables, les deux détectives ne sont pas des jumeaux, comme le révèle l'orthographe de leurs noms."

Est-ce vraiment aussi évident qu'il n'y paraît ? Pas sûr. Ainsi, selon une étude sociologique réalisée par des étudiants de l'Université de Lille :

"Dupont et Dupond sont la représentation même de l'image caricaturée que les médias font des jumeaux."

Et c'est bien cette seconde opinion qui reflète très largement l'opinion du plus grand nombre, des simples lecteurs aux observateurs plus érudits : les Dupont/Dupond sont très certainement des frères... Dès lors qu'on arrive à cette conclusion, la question est posée : "Comment des frères peuvent-ils avoir des noms écrits différemment ?" Et c'est là que les [bomor] entrent en jeu, apportant non seulement une explication très satisfaisante à cette bizarrerie de l'état-civil, mais aussi une explication aussi amusante qu'improbable sur la possible inspiration d'Hergé pour ses deux limiers loufoques : Hergé se serait-il inspiré de personnages réels appelés [bomor] pour ses deux improbables agents de la maréchaussée ?

Policiers, moustachus... et presque écrits pareil !

Comme nous l'avons vu précédemment (voir à "Variantes du nom"), l'orthographe des patronymes n'était pas fixée avant le début du 20e siècle. En parcourant l'arbre des BEAUMORD de Droux, on rencontre une fratrie très intéressante, trois frères que d'aucuns appelèrent autrefois "les trois germains" (pour des raisons qui nous échappent encore) : Jacques BEAUMORD (né BAUMORE !), Jean BEAUMORD et Paul BEAUMORT. Ces frères sont intéressants à plus d'un titre :

 Les Dupondt n'aiment pas qu'on se trompent sur l'orthographe de leurs noms... 1°) Bien que Jacques, né en 1863, n'eut pas d'enfants, Jean et Paul, ses jeunes frères, transmirent à leur descendance deux variantes différentes du même nom, et ce jusqu'à ce jour, puisque ces branches cousines de BEAUMORD-BEAUMORT existent encore. Ils sont la preuve que deux frères BEAUMORD et BEAUMORT pouvaient coexister.
2°) Plus étonnant encore : Jacques, l'aîné de cinq enfants, exerçait à Paris le métier de... policier ! (dans le même temps un Théodore BEAUMORT qui n'était pas de sa famille était également inspecteur de police à Paris !) Ses neveux Aimé et Désiré BEAUMORD exercèrent eux aussi le métier de policier. Plusieurs autres membres de la famille ont ensuite été policier, gendarme, voire gardien de prison...
3°) Les DUPOND/T avouent eux-mêmes lire Paris-Flash, ce qui laisse entendre que, tout comme nos BEAUMORD/T, ce sont des policiers français basés à Paris (une belle revanche d'un Belge sur toutes les blagues que les Français font sur ses compatriotes...)
4°) L'un des frères BEAUMORD était connu du reste de la famille sous le surnom de "Milou"...
 Les Dupondt embarquent un beau mort... 5°) Cerise sur le gâteau, une case tirée de l'album de Tintin Objectif Lune semble un véritable clin d'oeil au patronyme BEAUMORD/T. On y voit les DUPOND/T faisant sortir un squelette du cabinet du Dr. Rotule avec ces paroles : "Et vous avez beau faire le mort, mon gaillard, votre compte est bon !" Quelques cases plus tôt, les mêmes DUPOND/T étaient passés à leur insu aux rayons X, se transformant en squelettes animés, pour leur plus grande frayeur... de beaux morts en somme !
6°) Enfin, deux des descendants actuels de cette famille, un BEAUMORD et un BEAUMORT, arborent de belles moustaches et affichent une ressemblance troublante avec les héros d'Hergé...

 Le Dupondt sans peine Alors, Hergé aurait-il, lors d'un voyage à Paris, rencontré deux policiers BEAUMORD et BEAUMORT, qui lui auraient servi d'inspiration par la suite ? Non, sans doute, mais c'est d'autant plusamusant de l'imaginer que, contrairement à Tournesol ou Tchang, dont on connaît précisément les sources d'inspiration, nul ne sait qui a bien pu inspirer ces deux flics ahuris et attachants... Quant à savoir si les policiers BEAUMORD/T étaient aussi peu doués en filatures, aussi fantasques et aussi peu perspicaces dans leurs enquêtes que leurs homologues de papier, on ne le saura sans doute jamais !


Pour en savoir plus sur les DUPOND/DUPONT d'Hergé :
"Le Dupondt sans peine" par Albert Algoud (Canal+ Editions, 1997 - 84 pages)